Découvrir le cœur humain au-delà des brisures et de l’enfermement.
L’expérience de vie avec les personnes handicapées nous montre comment cette vie est donnée dans la rencontre de l’autre. Elle est donnée en surabondance quand l’autre est dans la nécessité, dans la reconnaissance de sa pauvreté ontologique, il ne peut pas se suffire à lui-même. En effet tout processus de vie implique la participation d’un autre. « Comment cela peut-il se faire ? dit Marie à l’Annonciation, « je ne connais point d’homme. » [46] La réponse qui lui est faite est qu’un autre, « l’Esprit Saint, viendra sur elle et la Puissance du Très-Haut la couvrira de son ombre. » [46] Un Autre est annoncé et un mystère de Vie se prépare pour elle et en elle. Elle doit donner son consentement, son oui et se tourner vers un Autre en se « détournant » d’elle-même. Elle doit croire. Un saut dans la foi est à l’œuvre. C’est en perdant sa vie qu’on peut la gagner, dit Jésus.
La parabole du bon samaritain [51] évoque bien la difficulté de perdre sa vie qui se révèle dans toutes nos rencontres. Or, paradoxalement, c’est la rencontre avec la pauvreté, avec le manque qui peut nous conduire à un supplément de vie. Ce supplément de vie qui est offert par le pauvre, peut-être manqué sans même que nous ne nous en apercevions. Dans cette parabole, ce supplément de vie est manquée par le prêtre et le lévite qui croisent l’homme à demi-mort sans s’arrêter. Cette attitude, qui nous fait passer « à côté » de l’autre dans sa souffrance, révèle l’angoisse qui demeure cachée en chacun de nous, et dont nous avons très peur. Éviter ce “demi-mort,” c’est en fait, éviter la partie d’obscurité, à demi-morte, qui constitue aussi notre vie. Or paradoxalement, c’est la rencontre et l’aide demandée et apportée à cet homme blessé qui va permettre de franchir la zone obscure de mon être et qui va me redonner vie. Ainsi, dans cet Evangile, Jésus donne ce conseil : “Va et fais de même”, il nous donne ainsi un moyen de retrouver la vie en attente en nous et qui ne demande qu’à surgir. Mais l’angoisse, si elle domine, masque et empêche de reconnaître que le besoin de l’autre est constitutif de notre existence humaine. Le danger du prêtre et du lévite est de croire bon pour eux de pouvoir passer près de cet homme meurtri, sans s’arrêter. En effet, iI nous faut un certain courage pour se pencher vers l’homme à demi-mort. Pourtant cette force nous sera redonnée au centuple si nous faisons comme le bon samaritain.
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Le regard tourné vers les pauvres, nous pouvons sortir de notre enfermement. Au fondement de notre nature humaine se trouve un appel à l’amour. Nous sommes nés de la rencontre de deux personnes. Le Dieu Amour est présent dans toute vie, dans la rencontre de l’autre. La vie est donnée en surabondance quand l’autre est dans la nécessité. L’expérience de vie avec les personnes handicapées nous le manifeste. Si le « pauvre » est accepté et reconnu, une vie est donnée dans cette ouverture à l’autre, au diffèrent. Cette expérience donne la vie, dans le mouvement d’ouverture se trouve la vie, une vie nouvelle, que nous ne connaissons pas. Si le pauvre est reconnu comme générateur de vie, il provoque l’ouverture, l’accueil, la compassion et la miséricorde en celui qui l’accueille. Alors iI ouvre son cœur à la vie, une vie nouvelle que nous ne connaissons pas encore.
L’accueil de l’autre, du petit, du vulnérable vient guérir notre déficience de vie et d’amour. L’humanité qui se rencontre dans la vérité des cœurs purs chante le chant de l’amour vrai. Les personnes pauvres ont l’art de nous resituer au plan de l’amour, au plan du cœur. Celui qui cherche Dieu par un chemin de solitude, passe aussi par un chemin de grand dépouillement. C’est la grâce des "poètes" de nous y introduire. Le cœur humain chante l’Amour qui l’habite, c’est la beauté des cœurs qu’il faut redonner à l’humanité. Choisir de s’épanouir en s’ouvrant à l’autre est un vaste programme. Nous savons que nous sommes sans cesse « tournés vers nous-mêmes, épris de nous-mêmes et remplis de nous-même. [44] Le « moi viscéral » qui nous habite va se river sur notre centre embryonnaire. Si nous n’y prenons garde, notre enfermement peut devenir terrible. Il faut nous reconnaître pauvre, avec nos limites, nos brisures, pour devenir ce que nous sommes, en vérité.
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Le pauvre révélateur de Jésus dans son Mystère. Nous sommes nourrit des multiples manières par le Christ qui se donne à nous. Apres la Parole et l’Eucharistie qui nous donne le sens des réalités du monde dans lequel nous vivons, le ’pauvre’ est un Révélateur privilégié du mystère du Christ : « Les pauvres vous les aurez toujours avec vous, » dit Jésus. Le contact avec eux est chemin d’Evangile. Ayant rencontré Jésus dans son mystère, je peux admirer le visage du pauvre. Dans le visage de Bernardo se reflète le visage de Jésus, dans ses douleurs, il nous éveille à la Passion, dans sa joie, il fait éclater la Résurrection. Le contact avec les pauvres est un chemin d’Evangile, de bonne nouvelle qui peut nous fait entrer dans la civilisation de l’amour. Les pauvres sont des ’témoins’ vivants, de la simplicité de Dieu et ils nous la manifestent. Comme après un ciel chargé de gros nuages noirs qui annonçaient la tempête, le soleil revient, c’est ainsi que le cœur de Bernardo peut devenir, après une crise d’angoisse, d’une beauté étonnante, son regard le manifeste. C’est la joie de la Résurrection qui le fait éclater en cris de joie. Quand nous parlons des pauvres, nous parlons de l’humanité qui est, chez eux, tellement désappropriée de soi. Etant vide d’eux-mêmes, ils sont le reflet du mystère de Jésus. Bernardo, au-delà de toute sa détresse, témoigne déjà de la Résurrection de Jésus.
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Bernardo un grand amour, mais aussi une agonie. Que t’importe, Bernardo Que tu sois là seul, abandonné, Ou que l’on soit à côté de toi Pour trouver près de toi Le réconfort.
Toi tu sais Petit frère de Jésus Que ton Dieu est ton Créateur Et qu’il est là.
Je l’ai vu dans tes yeux, Dans ton regard Que tu veux toujours gai.
Par ta présence Tu attires la présence Du Dieu vivant.
II prend soin de toi ton Dieu Pas un cheveu de ta tête Ne tombe sans sa permission.
Tu ne peux pas faire De grandes choses. Mais chaque jour, À chaque moment, Tu peux recevoir L’amour de ton Dieu Cet amour créateur Qui te fait être.
Par ta présence Tu révèles le Dieu vivant. Tu ne peux pas faire grand-chose, Bernardo ! Tout juste répéter Ce qu’on te dit ce qu’on te fait faire, Mais dans ta vie tu peux répéter Jésus-Christ. Tu peux dire son nom : “Jésus” Tu peux mieux encore dire sa vie : Tu peux vivre sa vie Rien ne t’en empêche Il est là, il vit en toi.
L’amour de Dieu Brûle dans ton cœur, Bernardo Sa flamme passe par tes yeux. …II est gratuit.
Tout à fait gratuit Cet amour il vient directement de Dieu, Tu n’as rien fait pour cela Et tu n’as rien à faire Qu’à l’accepter.
Et tu sais manifester Cet amour À ceux qui sont près de toi. Tu sais prendre leur main, Tu les reconnais chacun, Même si tu ne te souviens Plus de leur nom.
Il est vrai que parfois Tu manques de courage, C’est difficile De sortir du lit le matin… Mais tu sais que tu peux Faire comme si Tu avais du courage Et c’est Jésus alors Qui vit en toi.
Parfois Bernardo Tu es angoissé Ça se voit… Tu as mal au ventre… Quand on est angoissé On a mal au ventre. Alors tu te penches en avant Comme pour avoir moins mal
Tu regardes tes doigts Pour ne plus voir ton mal.
Et à côté de toi Quelqu’un sait, Quelqu’un t’accompagne. Il y a une présence, Comme à la croix Il y avait une présence.
“Près de la Croix de Jésus Se tenait sa mère…”.
Ta faiblesse Bernardo Fait vivre en toi Jésus crucifié. Dans ton cœur Peut vivre son angoisse. Mais l’Esprit Saint Est là Si quelqu’un est là Pour te le témoigner.
“Vous n’avez pu veiller Une heure avec moi ?”
Et s’il n’y a personne Pour veiller avec toi, Marie est là Et c’est elle qui veille le soir Quand plus personne Ne veille.
N’es-tu pas son fils, Son petit enfant ?
Elle qui était Au pied de la Croix, Elle sait que Jésus a versé Son sang pour toi. Elle t’aime comme elle aime Jésus et véritablement Tu peux dire “Maman Marie”. Tu ne juges personne, Bernardo, Tu laisses cela aux grands. Ainsi tu peux garder ta paix, Cette paix du Christ Que l’on te donne et que tu donnes A la chapelIe.
Parce qu’on aime T’amener à la chapelle : On a compris Qu’il y a entre toi Et Jésus Christ une alliance D’amour.
Quand on est seul Dieu vient toujours à nous. Mais tu as appris Que Dieu veut que tu l’aimes. Alors ton cœur A bondi d’allégresse Et ton sourire Lui a répondu oui,
“Les pauvres sont évangélisés”
Mais tu es triste, Bernardo, Quand on oublie De t’amener à la chapelle.
Là, tu puises aux sources vives Tu peux aimer ton Dieu Tu peux lui donner Tout ce que tu es Et tu peux le recevoir Car tu l’as reconnu Dans le Pain de Vie. Ce pain qui nourrit ton cœur Cette source mystérieuse De vie qui fait de toi, Encore plus Le Corps du Christ.
Certains disent Que tu ne comprends pas ! Mais eux, qu’ont-ils compris ?
Tu as vu la grande croix à l’église, Et tu as répété : “Jésus”, Et quand tu le rencontres Dans la souffrance Tu le laisses faire.
Il t’arrive de pleurer, Bernardo Mais à nouveau ton sourire Est là et dans la faiblesse De ta vie le Puissant fait de grandes choses.
La paix de Dieu t’est donnée Quand tu restes pauvre, Petit, sans force. Pour les grands C’est difficile A comprendre Que Dieu puisse être là, Dans ta petitesse. Pourtant tu sais Qu’il veut bien être Dans une petite hostie Un morceau de pain, Alors, Pourquoi pas en toi, Bernardo Dans ta petitesse…
II t’arrive même De te sentir comme abandonné
Comme si Dieu oubliait De te montrer sa présence. Tu ne sais peut-être pas Qu’il est parti, grâce à toi, Consoler un de tes frères. Mais tu ne t’inquiètes pas…
Tu sais bien, Bernardo, Que tu as des défauts D’ailleurs les autres Se chargent de te le dire. Tu sais bien que tu ne peux pas T’appuyer sur tes propres Forces, mais comme tu sais Rester petit, Jésus est là, Tout près de toi.
Tu ne te chagrines pas, Bernardo, s’il t’arrive Quelque misère Tu sais que toujours Jésus pardonne Et que chacun de tes regards Posé sur lui Rencontre son divin regard Et qu’à chaque fois Que tu tombes Tu es dans ses bras.
Tu n’auras pas beaucoup D’œuvres à offrir à Jésus Quand il reviendra Dans sa gloire ! Mais tu t’offriras, toi, Tout pauvre, Alors Jésus sera ta richesse.
C’est parce que tu seras vide Qu’il pourra t’enrichir. Lui, sera ta récompense Pour toujours. II ne te donnera pas Selon tes mérites, Mais il se donnera lui-même.
N’a-t-il pas revécu en toi Sa petitesse ? N’a-t-il pas revécu en toi Son agonie, sa croix ?
En tout cela autant de signes De son amour pour toi ! II savait que tu le reconnaîtrais Comme il te connaît. Tu sais que c’est Jésus Qui te conduit et cela te suffit.
Et tu continues à sourire Et Jésus se repose dans ton sourire. “Le Bon Pasteur connaît ses brebis Et ses brebis le connaissent”
Oh miracle des miracles La résurrection est en toi, Bernardo ! Déjà dans ton sourire, Déjà dans ton regard Se vit quelque chose d’éternel, Ton regard contemple L’Éternel Enfant L’éternelle beauté de Dieu.
Oui, dans ton regard Jésus est ressuscité S’il a vécu avec toi son agonie Il veut vivre sa résurrection
Ce n’est pas encore le Ciel Mais c’est déjà Quelque chose du Ciel… Alors tu peux te mettre À courir… Et nous ne comprenons pas.
Bernardo, Maman Marie, maman, répétais-tu souvent, Ta maman était partie depuis longtemps rejoindre ses ancêtres, Bernardo, toi que ta maman appelait Maciak, Maintenant, c’était ton tour ! C’est comme un beau fils de Marie que tu es parti, En bel enfant de la Pologne que tu as quitté cette terre.
Tu es parti comme tu as vécu, Maciak, doucement, sans bruit. Simplement un dernier combat, une dernière agonie. Qui saura révéler ce qui est si bien caché, le mystère de ta vie ? Est-ce nécessaire ? Il ne sera connu qu’à ceux qui sont cachés comme toi ! "Je te bénis Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux savants et de l’avoir révélé aux tout petits".
Tu as fait du bien à beaucoup de personnes Bernardo. Il était temps de te laisser accompagner plus loin. C’est Ferouz, qui vient du Liban, que Marie avait choisi pour toi. Coïncidence, avec son pays si souffrant ! Elle pouvait comprendre ce que tu vivais, Elle l’a si bien compris.
Ta souffrance ne te laissait que peu de répits En ces dernières heures de ton pèlerinage. Tu as reçu tous les secours que l’Eglise Ta Mère, a pu te les donner. C’était si important pour toi. Apparemment, comme toujours on aurait pu croire que tu ne comprenais rien.
En fait, ton cœur s’apaisait à la prière du prêtre, Tu savais reconnaitre l’action de Jésus pour toi, Sa Paix et son amour parvenait à ton cœur souffrant Comme un baume précieux. Progressivement, tu comprenais Que tu pouvais partir ! Le voulais-tu ?
L’inconnu t’a toujours bousculé ! Te souviens-tu dans l’avion qui t’emmenait au loin, Tu avais si peur que tu t’es réfugié dans ma veste, Tu en es ressorti que quand l’avion était au port Quand le dernier moment fut arrivé, Ferouz a appelé Marie, ta maman du ciel.
En elle, dans son manteau, elle t’a rendu cette confiance Si nécessaire pour le dernier passage. « Maintenant, et à l’heure de notre mort ! » Tu es parti…
Une authentique rencontre humaine peut m’apprivoiser dans mon « enfermement, » pour l’ouvrir à la vie. Les « limites » de la nature humaine peuvent devenir un passage pour rencontrer l’autre. C’est par la compassion éprouvée pour Bernardo que je suis rejoint dans mes propres limites. Je fais l’expérience que ces limites sont un enfermement sur soi qui devient destructeur de soi-même. Si elles sont reconnues et acceptées, Dieu peut faire irruption dans ma vie, grâce au pauvre. En lui, je peux exister dans un au-delà de moi-même qui me révèle la vraie dimension de mon être. Alors je découvre la vie de ma vie, dans l ‘élan vers un autre, vers l’Autre. J’accède enfin à moi-même. L’Esprit-Saint, le Père des pauvres est à l’œuvre dans cette rencontre. « Avant de te former dans le sein de ta mère dit Dieu, je te connaissais » [45]. C’est l’homme blessé qui va me donner vie, je ne sais pas, dans mon angoisse, qui est cet homme blessé qui va me donner vie. Seule l’expérience de m’être rendu proche de lui va me révéler que c’était moi, l’homme à demi-mort sur le chemin. C’est dans cette rencontre que je retrouve la vie en faisant l’expérience que j’ai besoin des autres. Ainsi l’autre, dans sa pauvreté et son ouverture à Dieu, m’est une lumière. Pour cela je dois lui laisser la possibilité de me rejoindre. Je peux entrer dans le mouvement de la Vie donnée par Jésus, en m’ouvrant au petit et au pauvre. Là, immanquablement la vie se donne. Après que les pauvres nous ont ouverts à la vie, nous aurons besoin d’une formation humaine et spirituelle car le recul de l’expérience incite à chercher la vérité. C’est par ces recherches que l’on connaîtra l’intelligence qui est en nous et qui considère le vrai. Une unité s’établit entre le réel, l’objectif et l’affectif. La connaissance des personnes souffrantes ouvre notre intelligence à la contemplation de l’Amour qui nous habite. “Amour et Vérité s’embrassent” [125]. L’Amour est dépossession de soi, ouverture à I ’Autre.